NB : "Salaire minimum légal" est un terme générique utilisé par nous. Les dénominations effectives varient selon le pays considéré.
Dans les pays les plus évolués les droits des travailleurs sont protégés (et développés) par des règles (lois ou accords) concernant les conditions de travail : salaire minimum légal (SML), temps de travail maximum légal (TML), normes sanitaires et de sécurité, etc.
On distingue deux "couches" réglementaires :
Dans l'UE six pays n'ont pas de SML : Autriche, Chypre, Danemark, Finlande, Italie et Suède - source). En Allemagne le SML n'existe que depuis 2015. Il ne s'applique pas à toutes les catégories de travailleurs [source].
Le SML et le TML sont à la fois des instruments de :
Enfin le développement de la concurrence internationale (que l'on peut mesurer par la croissance de la part des exportations ou des importations dans le PIB de chaque pays), attise l'opposition des employeurs privés à l'encontre de la réglementation du travail. Cette opposition peut aller jusqu'à la délocalisation d'entreprises vers des pays où cette réglementation est plus laxiste ("dumping social").
Selon la théorie classique (c-à-d sous hypothèse de "marchés parfaits" : concurrence parfaite, information parfaite, prix flexibles) la répartition des facteurs de production travail (L) et capital (K) dans le processus de production est optimale si le prix de chaque facteur est égal à sa productivité marginale. En l'occurrence le salaire réel ne devrait être ni supérieur ni inférieur à la productivité marginale du travail. Par conséquent dans les processus de production où travail et capital sont substituables c'est donc le prix du facteur le plus bas qui devrait être le référentiel commun.
Soit la fonction de production Y(L,K) la productivité marginale des facteurs est la dérivée partielle de la fonction :
L'application de la notion mathématique de productivité marginale est cependant mise en question. En effet, dès lors qu'il n'est pas systématiquement possible d'augmenter Y en augmentant un seul facteur, est-il possible de mesurer effectivement la productivité marginale de chaque facteur ? Et dans l'affirmative, étant donné que le processus de production est un système complexe, est-il possible de converger vers l'optimum en minimisant les erreurs de mesure ? Autrement dit, une erreur de mesure même minime ne peut-elle impliquer une éloignement par rapport à l'équilibre ? Or il semble que c'est effectivement le cas : une propriété des systèmes complexes est leur sensibilité aux conditions initiales, c-à-d qu'il n'est pas possible de prévoir leur évolution à long terme ... (cf. théorie du chaos).
La réponse à ces questions est primordiale car le salaire minimum est incompatible avec la théorie classique dès lors qu'il interfère avec la supposée dynamique d'auto-stabilisation des marchés vers l'équilibre optimal.
Le tableau suivant montre la grande disparité entre les pays du Nord-Est et ceux du reste de l'UE en matière de salaire minimum légal.
SML brut en euros
Le tableau suivant compare le montant du SML avec les autres minima sociaux en matière de revenu pour un isolé. Il s'agit des montants pour la Belgique, pays que nous utilisons comme référentiel dans cette publication étant donné la performance de son système socio-fiscal mesurée par le rapport entre niveau de redistribution (*) et rationalité du système fiscal.
(*) En Belgique le droit à l'allocation de chômage minimale n'est pas limité dans le temps, ce qui fait de ce pays probablement le plus plus proche d'une allocation universelle.
Minima sociaux pour un isolé (Belgique - 2018 - montants nets par mois, arrondis)
Salaire minimum légal | 1.200 euros |
---|---|
Pension | 1.100 euros |
Allocation de chômage | 1.000 euros |
Revenu minimum garanti | 900 euros |
Source : luttepauvrete.be
Dans la plupart des pays le RMG est un système différentiel : lorsque les revenus d'un individu sont inférieurs au seuil de pauvreté – généralement défini comme la moitié du revenu médian national (60% en France) – l'État lui verse la différence ... pour autant que l'ayant droit en fasse la demande (ce qui n'est pas toujours le cas, et cela pour différentes raisons : ignorance, découragement devant les procédures pas toujours compréhensibles, honte, ...).
Le tableau suivant compare le SML au salaire médian observé dans des pays de l'OCDE.
Salaire minimum / salaire médian à temps plein (2017)
France | 0,62 | Allemagne | 0,48 |
Portugal | 0,61 | Belgique | 0,47 |
Roumanie | 0,60 | Pays-Bas | 0,47 |
Pologne | 0,54 | Japon | 0,42 |
Royaume-Uni | 0,54 | Espagne | 0,40 |
Grèce | 0,48 | USA | 0,34 |
Source : OCDE
Le Fordisme est bien loin. La mondialisation du commerce et de la concurrence n'a pas que des effets positifs car elle entraîne également le dumping social (ainsi que fiscal et environnemental). Les propriétaires d'entreprises exportatrices ou sujettes à la concurrence étrangère sont ainsi défavorables au SML.
Ces entreprises tentent de forcer leurs salariés, notamment ceux de la classe moyenne, à accepter des salaires toujours plus bas. On notera en particulier :
le travail à temps partiel : suite aux politiques libérales de "flexibilisation du travail" (sic) de plus en plus de citoyens doivent cumuler divers emplois à temps partiel – généralement précaires (courte durée, peu de responsabilités, faible salaire, ...) – afin de pouvoir obtenir un salaire mensuel global approchant le SML ;
les pseudo "autoentrepreneurs" qui ne sont souvent que d'ex-salariés contraints par leur employeur de passer sous statut d'indépendant, c-à-d de devenir sous-traitant (PS : on pourrait y voir une évolution positive augmentant les capacités d'adaptation des "employeurs" comme des "employés", mais dans la majorité des cas il s'agit d'une précarisation des conditions de travail des seconds au bénéfice des premiers).
Entre les dispositions légales et la réalité de terrain il existe une disparité parfois notable. Il convient ainsi de distinguer :
La hiérarchie SML > SMo > SMe peut s'expliquer comme suit :
SML > SMo dans la mesure où des salariés "acceptent volontairement" un salaire horaire < SML [exemple1, exemple2?] , ce qui est d'autant plus fréquent lorsque les sanctions légale contre l'employeur sont ineffectives voire inexistantes ;
SMo > SMe dans la mesure où le travail est clandestin et donc non déclaré.
C'est la problématique des parties volontairement contractantes. Il importe que personne ne soit contraint "d'accepter" un salaire inférieur au SML. Pour ce faire une allocation universelle d'un montant égal au SML temps plein constituerait un moyen efficace. Cela n'implique pas que le SML est inutile, mais qu'il devrait être complété par une AU. Malheureusement les syndicats sont généralement opposés à l'AU ...
D'autre part l'obligation de payer un SML ne pouvant pratiquement porter que sur le salaire horaire, l'efficacité du SML est limitée par la part (croissante ...) du travail à temps partiel.
La plupart des dirigeants syndicaux sont opposés à l'AU. Partant généralement de l'hypothèse d'une AU inférieure au SML, les syndicats développent un argumentaire décrivant l'AU comme « une machine de guerre contre la sécurité sociale qui entraînerait l’institutionnalisation de la précarité ». Selon eux l'AU serait incompatible avec les objectifs syndicaux que sont des salaires décents, la réduction du temps de travail et le bien-être au travail.
Étant donnée l'hypothèse de départ d'une AU très inférieure au SML certains éléments de leur argumentaire paraissent fondés. Cependant cette hypothèse de base est fausse. En effet l'article consacré au financement de l'AU suggère qu'une AU de 1.150 euros/mois, soit environ 90% du SML net est possible, et que les obstacles sont moins de nature économique que politique.
Non seulement une telle AU permettant de vivre chichement sans travailler n'est incompatible avec aucun des objectifs syndicaux, mais en outre :
elle réduit considérablement la problématique des parties "volontairement" contractantes évoquées plus haut, qui limite l'efficacité du SML ;
elle renforce le pouvoir de négociation des salariés.
Par conséquent l'opposition des dirigeants syndicaux à l'AU est suspecte. Selon nous les véritables raisons en sont les suivantes :
ils pensent, à tort ou à raison, que l'AU remettra en question l'utilité des syndicats ;
l'AU (du modèle synthétique) requiert selon nous l'instauration de la démocratie directe et la nationalisation du secteur bancaire, or les dirigeants syndicaux – qui sont très liés aux partis politiques – sont généralement opposés à ces évolutions [1].
Dans l'article consacré à l'application de l'AU nous avons montré que celle-ci devrait provoquer une baisse modérée de l'offre de travail, ce qui en vertu de la loi de l'offre et de la demande devrait théoriquement conduire à une hausse modérée des salaires. Le graphique suivant montre en outre l'effet de la hausse de demande de travail induite par l'effet redistributif qui alimentera la demande de biens et services.
Lecture du graphique :
Offre et demande de travail dans la sphère réelle
Nous basant sur une étude réalisée en 2008-9 par Angus Deaton et Daniel Kahneman (prix Nobel d'économie respectivement en 2015 et 2012), nous avons montré dans l'article "Application" qu'avec une AU de 1.200 euros/mois nets t1 devrait demeurer substantiellement supérieur à 18 heures/semaine.
Le graphique suivant détaille l'effet redistributif de l'AU qui stimule la demande de biens et services, et partant l'offre de biens et services --> hausse de la demande de travail exposée dans le graphique précédent.
Lecture du graphique :
Offre et demande de biens et services
L'AU étant récurrente et financée par redistribution sans création monétaire additionnelle [approfondir], les entreprises peuvent anticiper de façon permanente un niveau minimum de demande de biens et services, et reproduire d'autant les investissements en capacités de production.
N.B. Le modèle synthétique d'AU est basé sur la condition d'entreprises publiques dans tous les secteurs stratégiques (celles-ci étant en concurrence, et gérées sous statut de coopératives publiques dans un système politique de démocratie directe), et nationaliser – par référendum automatique – les entreprises privées qui abusent d'une position dominante. Rappel : la présente publication est une théorie prospective de l'AU ...
On notera que l'AU n'est incompatible ni avec la hausse du salaire minimum légal (SML) ni avec la réduction de la durée hebdomadaire légale du travail, puisque dans les deux cas il s'agit d'un acte politique (mais avec des conséquences et contraintes économiques parfois antagonistes, qu'il convient de neutraliser notamment par (i) la présence d'entreprises publiques dans tous les secteurs stratégiques, et (ii) la substitution du principe d'échange antidumping) à celui de libre-échange.
D'autre part une AU d'un montant égal au SML actuel (soit environ 1.200 euros/mois) augmenterait le pouvoir de négociation des travailleurs à bas salaires. En fait, force est de constater qu'une AU égale au SML est bien plus efficace qu'un SML sans AU.
Tous les articles du dossier Travail :
[1] On notera à cet égard en Belgique le support apporté en 2013 par le SETca (Syndicat des employés, techniciens et cadres de la FGTB) à la fédération patronale du secteur financier contre de nouvelles taxes sur le secteur bancaire, plutôt que de demander la nationalisation de celui-ci [source].
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Une publication de François Jortay