Le présent article, qui se base sur les cas de la France et de la Belgique, n'est pas une description détaillée et exhaustive du système social-fiscal de ces deux pays de référence. Il s'agit plutôt d'identifier des principes de base propres à tous les système socio-fiscaux, et de proposer des valeurs de référence. La France et la Belgique sont des références idéales car ces deux pays font parties des plus avancés en matière de sécurité sociale. Ils ont également en commun de refléter la complexité et la diversité compositionnelle des systèmes de SS.
Ordonnance de 1945 portant organisation de la sécurité sociale : legifrance.gouv.fr.
L'analyse spatio-temporelle du taux de pauvreté (comparaison entre pays, et évolution d'un pays) permet d'évaluer l'effet des "dépenses" de sécurité sociale (que l'on peut voir plutôt comme des "tranferts"). Se pose également la question de l'efficacité avec laquelle ces ressources sont traitées (financement, identification des ayants droit, calcul des montants spécifiques, distribution, contrôle, ...) pour abaisser le taux de pauvreté.
Le tableau suivant illustre deux faits :
En France, les dépenses de retraite et de santé représentent 26,9/34≈80 % des dépenses de sécurité sociale, contre une 4,7/34≈15 % pour le chômage, l'excluson sociale et l'aide au logement réunis. Ces trois aides – qui concernent essentiellement les 15 % les plus pauvres de la population – représentent environ 5 % du PIB.
Tableur & sources : depenses-SS.ods
Les pensions constituent le poste le plus important des dépenses de SS. Sa croissance est soutenue en raison du vieillissement actuel de la population. La population vieillissant, le rapport instantané contributeurs / bénéficiaires (c-à-d cotisants / retraités, encore appelé taux de dépendance) diminue, ce qui requiert :
Une mesure alternative est d'augmenter le volume des cotisations en repoussant l'âge de la retraite.
Formulation mathématique
Ainsi, si l'on veut maintenir le niveau des pensions (taux de remplacement), il faut augmenter d'autant plus le taux de cotisation que le ratio de dépendance démographique (population à l'âge de la retraite / population en âge de travailler) augmente plus vite que la productivité du travai. Or, en France, on observe les évolutions suivantes :
Par conséquent, entre 1980 et 2050, le ratio de dépendance serait divisé par 4/1.25=3,2 tandis qui la productivité serait multipliée par environ le même facteur. Conclusion : il n'y a pas de quoi s'inquiéter !
Pourtant, le débat politique sur la question des pensions prend de plus en plus de poids médiatique, notamment via la question du mix de financement du système de pension :
Il est donc dans l'intérêt du lobby financier d'entretenir le catastrophisme concernant la thématique des pensions, tout en présentant la capitalisation comme la meilleure solution (ce qui est faux : cf. /dette-publique#depenses-pensions). On notera à cet égard, que les trois secteurs économiques où l'on observe le plus de condamnations judiciaires, notamment pour corruption, sont dans l'ordre : 1. finance ; 2. pharmacie ; 3. énergie [source].
L'âge de la retraite constitue le noyau de cette focalisation, notamment parce qu'elle a pour effet d'augmenter la population active, et donc le nombre de cotisants, ce qui neutralise la baisse du taux de dépendance. La question de l'âge de la retraite oppose deux logiques :
Argument complémentaire. Il importe que la décision de travailler ou pas ne soit pas contrainte. C'est pourquoi la décision prise en 2023 par le président Macron, de rehausser l'âge de la retraite de 62 à 64 ans, peut être vue comme une régression sociale, même si l'espérance de vie en bonne santé à la naissance – 66 ans pour les hommes et 67 pour les femmes [source] – est encore supérieure.
Argument complémentaire. Le système de la pension légale tend à décourager l'activité de personnes pourtant très utiles à la société de par leur longue expérience [source].
On notera que l'AU permet de concilier ces deux points de vue ! Cependant, la plupart des syndicats préfèrent que la tendance haussière de la productivité se traduise par des salaires plus élevés (en commençant par élever le niveau salarial des femmes à celui des hommes) pour que, via les cotisations prélevées sur les salaires, la richesse produite par les travailleurs revienne aux travailleurs, notamment sous forme de pension. Mais cela est déjà le cas ! Ainsi en France, la croissance annuelle moyenne des salaires depuis au moins le début du siècle est environ 2 %, alors que celle de la productivité horaire est d'environ 1 % (cf. /salaire-minimum#salaires-productivite).
Productivité. Les anticipations d'explosion de la productivité, provoquée notamment par les progrès de l'informatique, ne se sont pas encore réalisées. Ainsi le taux de croissance de la productivité est même dans une tendance baissière depuis les années 1970 [source]. Cependant, l'évolution de la productivité sur une échelle de temps millénaire (cf. graphique ci-dessous) suggère que ce ralentissement est très probablement temporaire.
Les dépenses de santé sont influencées par le vieillissement de la population, de sorte que la croissance des dépenses de pension se propage aux dépenses de santé. Cependant celles-ci se développent également en raison de facteurs culturels, dont l'influence du lobby pharmaceutique. Ainsi « de nombreux médicaments restent admis au remboursement alors que leur valeur ajoutée thérapeutique n’est pas significative. La culture de prescription privilégiant des médicaments nouveaux et chers reste forte à l’hôpital comme en ville » [source].
Public vs privé. Dans les pays de l'OCDE, les dépenses publiques de santé représentent en moyenne les deux tiers des dépenses totale de santé.
L'espérance de vie en bonne santé à la naissance en 2021 est de 66 ans pour les hommes, et 67 pour les femmes.
À la naissance (2021) | Hommes | Femmes |
---|---|---|
Espérance de vie | 79 | 85 |
Espérance de vie en bonne santé | 66 | 67 |
Source : Insee
L'espérance de vie de l'ensemble de la population est de 82 ans en France, contre seulement 78 ans aux USA (2021, source).
Cependant, les statistiques d'espérance de vie sans incapacité à 65 ans donnent une image nettement plus optimiste. Ainsi, à 65 ans, les hommes peuvent encore espérer vivre sans incapacité jusqu'à l'âge de 75 ans, et les femmes jusqu'à 78 ans.
À 65 ans (2021) | Hommes | Femmes |
---|---|---|
Espérance de vie sans incapacité | 11 | 13 |
Source : Drees
L'évolution de cette statistique est encore plus positive : entre 2008 et 2021, l’espérance de vie sans incapacité à 65 ans aurait crû plus vite que l’espérance de vie. Et ce n'est pas tout : alors qu'en 2008 les hommes de 65 ans pouvaient espérer vivre sans incapacité 48 % des années leur restant à vivre, ce pourcentage était passé à 59 % en 2021 (pour les femmes, on est passé de 45 à 55 %) [source].
Espérance de vie : des concepts ambigus ?
Les deux indicateurs, celui de l'Insee et celui de la Drees mentionnés ci-avant, semblent inconciliables :
J'ai demandé des éclaircissement à la Drees, qui ne m'a pas répondu. Je me suis alors adressé à son équivalent belge, Sciensano, dont les publications montrent des résultats semblables à ceux de la Drees. La spécialiste de Sciensano m'a répondu que la contradiction n'est qu'apparente : l'espérance de vie est une moyenne qui masque le fait que, dans l'ensemble de la population, des personnes mourront avant l'âge moyen de l'espérance de vie, et d'autres après. D'autre part, elle mentionne le fait que seulement 37 % de la population âgée de 65 ans rapporte des limitations liées à des problémes de santé [source].
Ok, mais en quoi ces faits lèvent-ils la contradiction apparente entre l'indicateur de l'Insee et celui de la Drees ?
D'autre part, "l'espérance de vie sans incapacité à 65" me semble douteuse. En effet, cet indicateur :
est établi à partir de données exhaustives de mortalité complétées d’une question posée à un échantillon de 17 000 ménages. (...) Contrairement aux données objectives de l’espérance de vie, cet indicateur est plus qualitatif, car sa construction nécessite de prendre en compte les réponses d’un échantillon de personnes à la question "Êtes-vous limité depuis au moins six mois, à cause d’un problème de santé, dans les activités que les gens font habituellement ?" » [source].
masque la réalité des personnes vivant dans la précarité et/ou des conditions de travail pénibles. Ainsi le Conseil économique social et environnemental (CESE) souligne que l’espérance de vie des personnes ayant vécu de longues années dans la grande précarité est terriblement réduite : elle se situe entre 50 et 55 ans, soit plus de 25 ans de moins que le reste de la population [source p. 14].
Ce que vous observez dans votre environnement social et familial correspond-il à l'affirmation que « les hommes âgés de 65 ans, peuvent espérer vivre 11 ans sans incapacité, et les femmes 13 ans » ? Autrement posé, cet indice d'espérance de vie sans incapacité à 65 ans – aussi scientifiquement ait-il été conçu – décrit-il pour autant la réalité ... ?
Rappelons enfin que les dépenses de santé ne sont pas remplacées par notre allocation universelle, car elles sont très inégalement réparties dans la population, et peuvent être individuellement très élevées. Cela présente également l'avantage de ne pas réduire la visibilité politique de ces dépenses, qui constituent le premier facteur de croissance des dépenses publiques (cf. /dette-publique#depenses).
En ajoutant aux aides personnelles au logement, les aides à la pierre et les équipements collectifs associés (qui ne sont pas des dépenses de SS), les dépenses de la politique du logement sont 2,4 fois plus élevées en France (2,2 % du PIB) que dans l'UE (0,9 % du PIB) [source].
Le temps d'attente pour un logement social varie considérablement selon les pays. Ainsi en Belgique, il est de de douze ans (!) dans la capitale, et cinq ans en Wallonie [source]. En France, la durée est d'environ huit mois, 20 % de demandes de logement étant satisfaites [source].
Selon certaines estimations il y aurait jusqu'à trois fois plus de logements vides que de SDF en Europe ! [source]. Le graphique suivant montre la forte progression du nombre de logements vacants depuis le début du siècle (et c'est sans compter les immeubles de bureau inoccupés, dont le nombre a explosé avec le covidisme ...).
Évolution du nombre de logements par catégorie (France)
Évolution annuelle, moyenne quinquennale. Source : insee.fr
L'État devrait agir radicalement sur le marché de l'immobilier, par des mesures décourageant la propriété d'immeubles inoccupés, par exemple en nationalisant les immeubles inoccupés depuis une certaine période. Les propriétaires pourraient facilement neutraliser le risque de nationalisation, en diminuant suffisamment le loyer, de sorte que ces habitations trouvent ainsi preneur.
Fait généralement méconnu de l'opinion publique, le non-recours aux aides sociales par des personnes y ayant pourtant droit est très élevé : 30 % pour le chômage, 34 % pour le revenu minimum, et 50 % pour le minimum vieillesse [source]. Cette "redistribution non exercée" représenterait près de 0,5% du PIB [source p. 330].
Cause du non recourt. Les raisons sont multiples et peuvent varier selon les individus : ignorance de l'existence de certains droits, découragement devant la complexité des procédures, honte personnelle du statut d'assisté social, crainte de la stigmatisation sociale,... [source].
Selon un rapport de la Cour des comptes (France), une enquête menée par Pôle Emploi en 2013-2014 a relevé une insuffisance de recherche d’emploi par les chômeurs dans 8 % à 35 % des cas dans les agences testées. Ces cas semblent relativement peu sanctionnés : l’insuffisance de recherche d’emploi ne représentait en moyenne en 2013 que 2,5 % des cas de radiation, les radiations représentant elles-mêmes 11,5 % des sorties de liste de Pôle emploi [source p. 82].
N.B. La fraude sociale est nettement inférieure :
Nous entendons ici par "minima sociaux", une notion plus large que la définition officielle, comprenant :
Le graphique suivant montre, en utilisant le SML comme référentiel, la grande disparité entre les pays du Nord-Est et ceux du reste de l'UE, et surtout l'absence d'une prétendue "convergence vers le haut", sur laquelle reposait la propagande originelle en faveur de l'Union monétaire européenne, mais manifestement inexistante 22 ans plus tard ...
SML brut en euros
Dans le tableau suivant c'est le système de sécurité sociale belge (2021) que nous utilisons comme "référentiel avancé" (pour la France : mes-aides.gouv.fr). Le tableau présente les montants minimums (nets, arrondis à la cinquantaine) pour un isolé.
Salaire minimum légal (SML) 1650 euros/mois |
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Pension de retraite 1550 euros/mois |
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Allocation de chômage 1350 euros/mois |
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Revenu minimum garanti (RMG) 1200 euros/mois |
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Aide au logement |
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Nomenclature. Les dénominations officielles variant selon les pays nous utilisons ici nos dénominations génériques : "salaire minimum légal" (SML : SMIC en France, RMMMG en Belgique) et "revenu minimum garanti" (RMG : "RSA" en France, "Revenu d'intégration" en Belgique).
Yd = Revenus primaires (Revenus du travail et du capital + Revenus de transferts) - Prélèvements obligatoires
où :
Revenus de transferts = aides publiques en matière de famille, logement, chômage, pension, etc
Prélèvements obligatoires = impôts sur les revenus du travail et du capital + cotisations sociales + taxes à la consommation
les cotisations sont prélevées "à la source" c-à-d par l'employeur, qui les verse à l'État ;
les taxes à la consommation sont (i) prélevées par les entreprises, sur base de leur chiffre d'affaire, (ii) répercutées sur le prix de vente au consommateur final.
En France la redistribution est opérée pour 37 % par les prélèvements obligatoires (surtout l’impôt sur le revenu) et pour 63 % par les prestations sociales en espèces (calculé à partir des différence entre les coefficients de Gini avant et après impôts et prestations sociales) [source].
Le tableau suivant expose les rapports entre salaire super-brut et salaire net.
Niveaux de salaire du SML (SMIC, France, 2019)
Tableur super-brut-net.ods + source
(*) = salaire brut + cotisations patronales
(**) = salaire brut - cotisations salariales
cotisations sociales = cotis. patronales + cotis. salariales
À partir du PIB on obtient le revenu national en déduisant la dépréciation annuelle du capital, et en ajoutant le solde des revenus étrangers. À partir du revenu national on obtient le revenu disponible moyen en retirant les impôts, et en ajoutant les transferts (chômage, retraites, etc). La différence entre revenu disponible et revenu national est consacrée aux services publics : éducation, santé, routes, justice, police, ... [source].
À l’origine, la Sécurité sociale fut conçue sur le modèle de l’assurance sociale, établissant un lien fort entre cotisations et prestations, l’affiliation étant liée à l’exercice d’une activité professionnelle. Mais progressivement, l’État prit une part toujours plus importante au financement de la protection sociale, en réponse ou accompagnement de diverses évolutions : universalisation des prestations maladie et famille, forte augmentation du contenu et des coûts des services de santé couverts par la Sécurité sociale, déplafonnement des cotisations sociales, allégements de cotisations sociales employeurs sur les bas salaires, introduction de dispositifs de solidarité (minima sociaux, aides au logement).
Théoriquement, les systèmes de SS pourraient (et sont assez souvent) gérés selon deux approches complémentaires :
(*) Les pensions de retraite et les indemnités de chômage sont considérées par certains auteurs comme des "salaires différés". Cette équivalence inter-temporelle me paraît cependant abusive car un revenu immédiat est certains, contrairement à un revenu différé.
Il n'est cependant pas évident de déterminer des critères objectifs sur base desquels retraite & chômage sont classés dans le premier groupe, et famille, logement & santé dans le second.
Selon la thèse dite du "salaire différé" il serait politiquement moins difficile de faire passer une hausse des cotisations que de l'impôt car les cotisations reviendraient intégralement au contribuable, tandis que les impôts seraient partagés entre tous.
Une étude économétrique confirmerait la thèse du salaire différé [source].
D'autre part, si les pensions d’aujourd’hui sont financées par les cotisations des actifs d’aujourd’hui, on parle alors de "répartition" (généralement associée à la solidarité) vs "capitalisation" (généralement associée à l'assurantiel) ...
La distinction répartition-capitalisation est de nature intergénérationnelle, et fondée sur deux objectifs qui selon le contexte budgétaire peuvent s'avérer incompatibles, dans lequel cas un arbitrage doit être opéré :
Concernant l'effet redistribution il n'est pas aisé de trancher entre cotisations et impôts :
Part des cotisations dans le financement de la SS. Alors que les cotisations sociales constituaient historiquement la principale ressource des administrations de sécurité sociale, elles ont été peu à peu remplacées par des impositions de toutes natures (CSG, TVA…) et ne représentent plus que 55 % de leurs ressources en 2022 (83 % en 1980) [source]. C'est particulièrement les cas des allocations de chômage. François Ecalle note que c'est également le cas d'une partie des pensions : « les pensions de la plupart des retraités ont une composante qui relève de la solidarité : majorations en fonction du nombre d’enfants, pension minimale, part de la pension correspondant à des trimestres validés alors qu’il n’y a pas eu de cotisation (chômage...), pension versée avant l’âge minimal en raison de l’exercice de métiers pénibles etc ». Ecalle recommande que les pensions continuent de faire l’objet d’un virement unique, mais que l’information donnée aux retraités distingue la part qui relève de l’assurance, correspondant au principe selon lequel chaque euro de cotisation donne droit à la même pension dans le futur système universel, et la part qui relève de la solidarité [source].
Cette diminution de la part des cotisations dans le financement de la protection sociale va de pair avec le développement de prestations relevant d’une logique de solidarité, ou « beveridgienne » (indépendantes des cotisations versées), au détriment de celles qui relèvent d’une logique d’assurance, ou « bismarckienne ».
Incidence des cotisations sociales. Au niveau du SMIC, le salaire brut est fixé réglementairement et toute hausse des cotisations patronales entraîne, pour l’employeur, une augmentation du coût du travail qui réduit ses marges ou est répercutée sur ses clients, ce qui le conduit à réduire le nombre d’emplois. Une augmentation des cotisations salariales diminue le salaire net perçu par les salariés. Cependant, François Ecalle souligne que « à un niveau de salaire éloigné du SMIC, le salaire brut peut être ajusté par l’entreprise, tout au moins son augmentation d’une année à l’autre, en réaction à une hausse des cotisations patronales mais cela dépend de son pouvoir de négociation et de celui des salariés. Une hausse des cotisations patronales peut alors se traduire par une augmentation du coût du travail pour l’entreprise ou par une moindre augmentation du salaire brut. Si les salariés ont le pouvoir de s’opposer à une modération salariale en cas de hausse des cotisations patronales, ils peuvent également obtenir une augmentation de leur salaire brut en cas de hausse des cotisations salariales ». [source].
Effets des cotisations sur l’activité économique et l’emploi. Les évaluations des effets des cotisations sociales sur l’activité économique sont nombreuses et montrent quasiment toutes un effet négatif de ces cotisations sur l’activité et l’emploi. Selon le modèle macroéconomique Mésange de l’INSEE et de la direction générale du Trésor, une hausse équivalente à 1 point de PIB des cotisations des employeurs entraîne, au bout de cinq ans, une baisse de 1,0 % du PIB et la perte de 320 000 emplois. Une hausse des cotisations salariales du même montant entraîne, au bout de trois ans, une baisse de 0,8 % du PIB et la perte de 260 000 emplois [source].
Le tableau suivant compare les systèmes de sécurité sociale belge, français et américain pour une famille monoparentale comptant deux enfants. L'axe horizontal mesure le revenu avant impôt et cotisations sociales personnelles gagné par le parent, tandis que l'axe vertical mesure son revenu disponible c-à-d après impôt et cotisations sociales. Il apparaît que le système belge est le plus généreux envers ceux qui ne travaillent pas (point 0 sur l'axe horizontal). Par contre l’ordre s’inverse vers 700 euros/mois. Enfin, pour les revenus bruts situés aux alentours de de 1.600 euros/mois la différence entre les trois pays s'estompe.
La droite rouge à 45° représente la courbe de revenu disponible hypothétique d’un pays où il n’y aurait aucune taxe et aucun transfert <--> revenu brut = revenu disponible. Ainsi le graphique montre que l'on devient contributeur net au-dessus d'environ 1.900 euros bruts. Pour plus d'explications sur l'interprétation du graphique voir la source pages 9 à 13.
Le graphique ci-dessus illustre deux approches. Une approche favorisant les entreprises est d'inciter les gens à travailler à temps plein même pour un salaire très faible, et de compléter celui-ci par des aides complémentaires (USA). Une approche inverse, favorisant plutôt les individus, est d'inciter les entreprises à payer des salaires suffisamment élevés, en aidant ceux qui n'ont pas de travail (BEL). Le système français se situe entre les deux.
Selon un directeur de France Stratégie « On fait semblant de croire que le mot "solidarité" nous unit encore, alors qu’ il nous divise assez fréquemment. Les Français ne doutent pas de leur modèle social d’une manière générale, au moins pour la santé – c’est moins vrai pour les retraites, notamment pour les plus jeunes –, mais ils sont très critiques à l’égard des mécanismes d’assistance. Deux Français sur trois jugent que notre modèle social coûte trop cher ; ils sont huit sur dix à estimer qu’il y a des abus à l’égard des aides sociales et qu’il est souvent plus avantageux de ne pas travailler que de travailler. Que cette méfiance ne reflète pas la réalité, que les Français surestiment massivement la fraude et sous-estiment le non-recours aux droits sociaux est une évidence, mais la réalité des perceptions compte malgré tout. » [source p. 401].
Les sections suivantes développent les critiques qui nous paraissent les plus prégnantes d'un point de vue scientifique.
Claude Allègre fait remarquer que « les pouvoirs publics font face à un arbitrage entre d’une part des prestations qui essaieraient de répondre finement aux besoins des bénéficiaires potentiels, et qui sont ainsi fonction de leur caractéristiques, au risque de la complexité et du non-recours ; et d’autre part des prestations universelles simples et non stigmatisantes mais qui répondent moins bien aux différences de besoin et sont donc ainsi plus coûteuses » [source p. 52].
Les systèmes actuels de SS sont extrêmement complexes car il se sont construits au fil du temps par accumulation de mesures visant à couvrir un maximum de cas particuliers de façon spécifique. D'autre part ils n'exploitent pas pleinement les potentialités de rationalisation apportées par l'informatique, comme l'illustre l'exploitation insuffisante des connexions entre les base de données des administrations fiscales et sociales.
Il en résulte des coûts administratifs importants et des inefficacités. Ainsi la non automatisation des procédures d'allocation des aides sociales a pour effet que les ayants droit doivent introduire une demande et prouver à l'administration sociale qu'ils répondent aux conditions, en obtenant auprès de l'administration fiscale certaines données requises. Cette situation ubuesque implique non seulement des coûts administratifs qui pourraient être supprimés (informations et contrôles des ayants droit) mais en outre une faible efficacité de la SS. Jusqu'à 50% des ayants droits n'exercent pas leurs droits aux aides sociales, soit parce qu'ils en ignorent l'existence, soit parce qu'ils n'arrivent pas à réunir les informations requises, par incompréhension des procédures (et d'autant plus lorsque les procédures sont interprétées différemment par les fonctionnaires de différents services, problème qui serait résolu par unification et automatisation des procédures fiscales et sociales).
Le graphique suivant réalisé par Marc de Basquiat montre la grande disparité des statuts sociaux. Il permet de classer les statuts du plus au moins avantagé (les 18-25 ans) :
Prélèvements non contributifs en fonction des revenus primaire de la famille (France)
Source : revenudexistence.org (p. 10).
Le graphique ci-dessus est le résultat d'un système complexe de redistribution des revenus par prestations sociales et prélèvements obligatoires, détaillé dans le tableau suivant (pour agrandir cliquez ici).
Distribution des revenus, prestations et prélèvements (France)
Source : revenudexistence.org (p. 24).
Il y a effet de "trappe à inactivité/chômage/pauvreté" lorsqu'une personne en situation précaire (allocataire du chômage ou du RMG, travailleur pauvre) n'est pas incité à travailler plus parce qu'il estime qu'il en résulterait une baisse globale de l'ensemble de ses revenus monétaires (allocations & revenus professionnels, diminués des impôts et frais liés à l'activité) et non monétaires (temps libre, reconnaissance sociale, quantité et qualité du réseau relationnel, opportunité de développement de ses capacités, opportunité de carrière professionnelle, ...).
Incertitude. Ce faisant l'allocataire compare un ensemble revenus+patrimoine actuel et donc certain (AU et temps libre), avec un ensemble futur et donc incertain (quantité et qualité du réseau relationnel, opportunité de développement de ses capacités, opportunité de carrière professionnelle, pension, ...). L'incertitude quant aux revenus et patrimoine futurs est notamment fonction de la compréhension et de la confiance qu'a l'allocataire dans le système qui générera les revenus futurs. Minimiser cette incertitude (notamment par la simplification du système socio-fiscal) est une condition nécessaire (mais non suffisante) pour neutraliser l'effet de trappe.
Vers le salariat. Il y a notamment effet de trappe lorsque le rapport entre les montants nets de l'allocation (chômage ou RMG) et du salaire minimum légal (SML) est tel qu'en reprenant une activité professionnelle rémunérée au SML un allocataire n'obtiendraient qu'une faible augmentation de revenu relativement à la perte de temps libre, et alors que les gains non monétaires de la reprise d'activité sont difficilement évaluables ex-ante. Ce sera généralement le cas d'un allocataire qui se voit proposer un travail à temps partiel.
Vers l'auto-entreprenariat. Lorsqu'un allocataire du chômage ou du RMG prend le risque de passer au statut d'indépendant il perd (immédiatement ou progressivement) le droit à son allocation alors que les revenus d'activité ne sont pas immédiats, ce qui n'incite pas à l'auto-entreprenariat. Rappelons à cet égard que la création d'une entreprise réussi rarement dès la première tentative : ainsi 90% des start-ups font faillite, et cela dans les 5 premières années [source].
La notion de trappe à inactivité est un concept théorique, largement propagé par des économistes néolibéraux, postulant que les aides au revenu incitent à la paresse, et en concluant qu'il faut réduire ces minima sociaux. L'hypothèse sous-jacente est que la nature humaine serait rétive au travail, ce qu'infirme pourtant le fait qu'une part non négligeable des travailleurs pauvres occupent des emplois pour des salaires inférieurs aux revenus d'assistance dont ils pourraient bénéficier s'ils ne travaillaient pas [source].
Un rapport du Sénat français constate par ailleurs que l'expérience de terrain et les multiples enquêtes effectuées auprès de bénéficiaires de minima sociaux montrent que les personnes confrontées à l'effet de trappe ne choisissent pas délibérément de rester dans l'assistance : « elles n'ont pas une préférence explicite pour l'inactivité ; simplement, l'ensemble des contraintes et des frais à engager pour retrouver le chemin de l'emploi constituent parfois des obstacles insurmontables » [source]. Il s'agirait alors de neutraliser les effets de trappes, et pas nécessairement en réduisant les minima sociaux.
On peut distinguer :
L'effet de trappe à inactivité ou à chômage est un concept théorique, dont la réalité n'est pas confirmée par certaines études économétriques [source].
Il semble par contre exister un effet de trappe à pauvreté, les allocataires d'aides complémentaires restant souvent confinés dans un secteur secondaire composé de mauvais emplois sans grande possibilité de transition vers un secteur primaire composé des bons emplois : ce sont les travailleurs pauvres. Ce n'est donc pas du côté de l'offre de travail par les travailleur mais du côté de la demande de travail par les entreprises que fonctionne cette trappe [source].
Augmenter le SML horaire, ou réduire le temps de travail à salaire inchangé, permet de réduire l'effet de trappe à inactivité.
On estime généralement qu’il faut arriver à un gain de 15 à 25% en plus de l’allocation pour que le travail soit attractif [source].
Une allocation universelle additive (cf. /financement-redistributif#modes) maximise la neutraisation de l'effet de trappe, car le citoyen ne perd pas son droit à l'AU en reprenant une activité professionnelle (le revenu disponible est fonction croissante de la durée du travail).
Une allocation universelle différentielle (cf. /financement-redistributif#modes) neutralise également l'effet de trappe au moyen de la technique du taux de retrait, qui revient à permettre le cumul de l'allocation sociale (chômage ou RMG) avec un revenu professionnel. Cependant, comme cette mesure instaure une inégalité de traitement par rapport aux personnes déjà en emploi, elle ne peut être que temporaire, ce que l'allocataire social va anticiper, de sorte que la neutralisation de l'effet de trappe peut être ineffective. Cependant il demeure que cette mesure conduira in fine au moins une partie des individus concernés vers un niveau de salaire net supérieur à l'AU. Enfin si l'effet de trappe à inactivité est plus théorique que réel, alors il n'y a pas vraiment problème ...
Modélisation mathématique et informatique du taux de retrait : financement-redistributif#trappe-inactivite-et-taux-de-retrait
Les systèmes de SS actuels sont l'héritage d'une tradition paternaliste fondée sur la croyance que l'échec social et professionnel serait généralement le résultat de fautes commises par l'individu plutôt que d'accidents, tandis que le succès serait le fruit d'un travail efficace plutôt que de rentes familiales (parents ou conjoint), de malversations, ou encore de la chance.
C'est pourquoi le RMG ("RSA" en France, "Revenu d'intégration" en Belgique, ...) est notamment conditionnalisé au suivi du bénéficiaire par l'administration publique, auprès de laquelle l'individu doit prouver qu'il fournit des efforts "suffisants" (recherche d'emploi et formation) pour pouvoir assez rapidement générer par lui-même les revenus dont il a besoin pour vivre dignement (salariat ou indépendant).
S'il existe certes des "tires-au-flanc" (les économistes parlent plutôt de "passagers clandestins"), il demeure que ce paternalisme humiliant alourdit la charge émotionnelle que suscite la précarité. Cela est d'autant plus absurde (i) qu'une partie importante des bénéficiaires du chômage ou du RMG ne sont pas des "profiteurs", et (ii) que concernant le reste, il ne sert généralement à rien de "mener à l'abreuvoir un cheval qui ne veut pas boire".
Certains risques, comme la vieillesse et la maladie, sont très bien couverts, alors que d’autres, notamment ceux liés à l’entrée dans la vie active et à l’instabilité des revenus, sont mal couverts. L'impact sur la consommation semble cependant modéré en raison de transferts à l’intérieur des familles.
Le taux de pauvreté des plus de 60 ans est de 8 %. Il est de 15 % pour les 25-29 ans et de plus de 20 % pour les 18-24 ans. Il s'agit d'une inversion par rapport à la situation passée et qui s'explique par l'évolution démographique ainsi qu'une régression de la qualité de l'enseignement [source p. 401].
Auteur : F. Jortay | Contact : | Suivre : infolettre