Il n'y a pas une mais des (propositions de) systèmes de financement inconditionnel des citoyens (SFIC). C'est pourquoi on en trouve des partisans et des opposants aussi bien à gauche qu'à droite.
« La proposition (...) est portée à la fois par des libéraux, selon lesquels il pourrait remplacer tout ou partie des prestations actuelles, par des socio-démocrates qui veulent compléter la protection sociale actuelle, par des partisans de la décroissance qui y voient un moyen de gérer la fin du travail, comme par des marxistes pour qui un tel instrument modifierait le rapport de force entre les travailleurs les capitalistes. Il est aussi critiqué à l'intérieur de ces différents courants de pensée. D'un point de vue libéral, le revenu universel serait une prime à l'oisiveté ; d'un point de vue social-démocrate, il viendrait fragiliser les bases de la protection sociale ; du point de vue des partisans de la décroissance, la réduction du temps de travail serait préférable car le travail doit diminuer pour chacun mais être équitablement réparti entre tous ; d'un point de vue marxiste, il ne remettrait pas en cause les fondements du capitalisme » [source].
Cependant les partisans seraient plus nombreux à gauche qu'à droite : selon un sondage BVA réalisé en France en 2016 (à confirmer par d'autres sondages) 74% des électeurs de gauche y seraient favorables, contre seulement 41% parmi les électeur de droite [source - p24].
Le tableau suivant présente une synthèse des trois modèles politiques, et les compare avec notre modèle synthétique :
Modèles → Caractérist.↓ |
Écolo | Libéral | Communiste | Synthétique |
---|---|---|---|---|
Nom spécifique | "Euro-dividende" | "Liber" | "Salaire à vie" | Allocation universelle |
Montant | 200 euros/mois | 500 à 700 euros/mois | Égal (ou supérieur, mais sous condition de qualification) au salaire minimum légal brut (1.650 euros/mois en France en 2021) | AU ≈ 1250 euros/mois (France, 2023) |
Redistribution | Très faible | Faible | Très élevée | Élevée |
Écarts de richesse |
Pas de limite | Pas de limite | Limite absolue | Limite relative |
Réforme ? | Non, propagande européiste | Ne remplace pas chômage et pension ; simplification limitée du système fiscal | Intégrale mais peu détaillée | Intégrale et détaillée : /financement-synthese |
Implément. | Très rapide (une année) | Deux ou trois ans | Nécessite soit une révolution soit un processus long (plusieurs décennies) | Quinze ans |
Étatisme | Supranationalisme européen | Faible | Élevé ou faible (selon le type de communisme) | Plus élevé qu'aujourd'hui |
Médiatisation | Moyenne | Élevée | Faible | Nulle |
Les quatre modèles ont en commun la garantie inconditionnelle d'une rémunération minimale, mais se différencient au niveau de son montant et partant de l'effet redistributif, c-à-d du traitement (notamment fiscal) des écarts de revenus (flux) et de patrimoine (stock), ce qui implique des conceptions différentes du rôle de l'État, et par conséquent de son mode de fonctionnement.
Quelle est la dénomination la plus appropriée ?
Popularité des dénominations selon le nombre de références sur Goggle Scholar
Revenu de base | 3020 |
Allocation universelle | 3010 |
Revenu universel | 3010 |
Salaire à vie | 320 |
NB : dénominations entre guillemets c-à-d expression exacte.
Pourquoi nous préférons l'expression "allocation universelle". Pour une raison très simple : les termes "allocation" et "universelle" décrivent exactement les deux caractéristiques essentielles du système de financement inconditionnel des citoyens (SFIC) proposé par notre modèle synthétique :
allocation : 16 % de cette AU est financée par la symétrisation du système monétaire : la fonction de création monétaire est retirée aux banques, et assumée par l'État, par distribution gratuite et inconditionnelle aux seules personnes physiques. Ce mode d'allocation de la création monétaire ("combien ?" et "pour qui ?") est une propriété fondamentale de l'AU du modèle synthétique, qui va profondément transformer le système productif en le décentralisant (cf. /financement-distributif#champ-de-valeur).
universelle : l'inconditionnalité du SRIC du modèle synthétique constitue l'autre face de la pièce : elle neutralise l'effet de trappe à inactivité, induit par l'interdiction de cumuler chômage et activité professionnelle.
Apparaît alors de façon évidente toute l'imprécision des termes "revenu" et "de base", comparativement à la dénomination "allocation universelle".
L'"Euro-dividende" est un « revenu de base partiel versé à tous les Européens, (...) (qui) pourrait devenir l’instrument politique qui protège l’Union Européenne et surtout la zone euro contre les chocs économiques asymétriques et réconcilie les citoyens avec l’idée de l’intégration européenne » [source]. Seul problème : il repose sur une infrastructure socio-fiscale supranationale européenne, actuellement inexistante ...
La réelle motivation de cette proposition – qui perpétue le mythe fallacieux d'une "Europe sociale" toujours à venir et ne venant jamais – est probablement d'occuper le terrain de l'allocation universelle à des fins de propagande européiste.
Le "Liber" fut proposé à partir de 2014 par le think tank libéral Génération Libre, dont les chevilles ouvrières sont le philosophe Gaspard Koenig et l'ingénieur et économiste Marc de Basquiat. Il s'agit d'un impôt négatif, qui vise à simplifier le système socio-fiscal, sans modifier substantiellement le niveau de redistribution (c-à-d qu'il n'aurait pas d'effet budgétaire direct). Ainsi Gaspard Koenig précise : « nous distinguerons donc nettement la lutte contre la pauvreté – l'enjeu principal du revenu de base – de la lutte contre les inégalités, que ce dispositif ne traite pas. Le revenu universel implique bien entendu une redistribution, mais celle-ci est conçue comme un moyen, non comme une fin en soi » [source p. 58].
En voici les principes majeurs :
On notera que, selon une étude empirique (34 pays, 1978-2014) de l'OCDE, le taux d'imposition au-delà duquel les recettes fiscales diminuent (notamment suite à l'échappement fiscal), c-à-d le sommet de la courbe de Laffer, serait d'environ 57% pour le taux marginal d’imposition sur le revenu, et varierait entre 9 et 37 % pour l’impôt sur les bénéfices des sociétés (soit une moyenne de ... 23%) [source]. NB : la théorie de Laffer, à supposer qu'elle soit pertinente, doit être interprétée avec prudence et sens critique.
le système serait globalement « sans effet sur les finances publiques ».
Selon la simulation réalisée par les promoteurs du Liber, ce système augmenterait légèrement la redistribution des richesses (pour une redistribution totale d'environ 4,5% du PIB) [source p. 24]. Il ne s'agit donc pas d'augmenter significativement la redistribution des richesses, mais de simplifier le système socio-fiscal, d'inconditionnaliser une partie de l'aide sociale, et de neutraliser le phénomène de non recours.
Les auteurs du think tank libéral proposent d'ailleur une définition très personnelle de la "progressivité" du Liber, calculée « en divisant la différence LIBERTAXE – LIBER par le revenu imposable. Ce taux de prélèvement est nul aux alentours de 2.000 euros de revenus (pour une personne seule), négatif en- dessous, et progresse régulièrement vers l’asymptote de 23% pour les plus hauts revenus » [source p. 26]. Cependant il s'agit là d'une forme extrêmement minimaliste de "progressivité", puisque l'ouvrier qui travaille à temps plein au salaire minimum serait imposé au même taux que le multi-milliardaire qui "travaille" deux ou trois mois par ans !
Or le principe de fiscalité progressive n'est déjà actuellement que très théorique – voire carrément inversé (imposition dégressive) – en raison des multiples formes de privilèges fiscaux octroyés par la classe politique aux riches familles et aux grandes sociétés [approfondir]. Or la dégressivité peut résulter en une perte de recettes fiscales et l'augmentation des écarts de richesse.
Gaspard Koenig note que l'impôt négatif est un système en temps réel, puisque l’impôt serait payé au mois le mois et non plus avec un ou deux ans de retard.
En outre la part des cotisations serait réduite :
Selon Génération libre, la notion de salaire brut disparaîtrait donc, l’employeur versant au salarié le montant contractuel :
Fiche salariale
Source : revenudexistence.org p. 60
Sur base du salaire contractuel le salarié acquitterait des impôts calculés automatiquement par le fisc tous les mois :
Fiche fiscale
Source : revenudexistence.org p. 60
Schéma fonctionnel
Source : revenudexistence.org
ambiguïté. Le document censé détailler le financement du système Liber est cependant ambigu : on ne voit pas très bien pas où s'arrête le système « budgétairement neutres » et commencent les mesures complémentaires. Ainsi De Basquiat tire de son chapeau « une « Couverture socle » commune complétant les ressources des adultes à faibles revenu « à hauteur d’environ 400€ pouvant être éventuellement majorée d’un complément d’insertion de 100 € ou d’un complément de soutien (handicapés, personnes âgées, dépendantes...) » ... [source p. 65].
Et de Basquiat de conclure : « l’économiste anticipera une plus grande attractivité du travail (déclaré) et une plus faible occurrence de fraudes (en particulier le travail dissimulé). Ceci peut également être renforcé par des mesures simplifiant le recours à des formes de travail souples telles que l’intérim ou l’auto-entrepreneur ».
Concernant l'aspect simplification Lionel Stoleru, l'initiateur du RMI, note que « Par rapport au RMI, au RSA et à la prime d’activité, le revenu universel (N.d.A. : version "impôt négatif") a pour autre caractéristique majeure d’être fiscal. On sort du système social, composé en France des partenaires sociaux, des collectivités territoriales, des associations, de la gestion paritaire, etc. – vous le savez mieux que moi, c’est très compliqué et très cher en gestion. On balaie tout cela et il y a uniquement un système fiscal. En France, celui -ci fonctionne plutôt bien, comme dans la plupart des pays développés. (...) Pour les impôts, on a maintenant un compte fiscal : la déclaration se fait en principe obligatoirement en ligne. Les revenus sont enregistrés, tout comme le montant des impôts. Chacun connaît donc l’état de ses comptes et ce qu’il doit, sous la forme soit d’une mensualisation soit du tiers provisionnel selon le système choisi. Le compte fiscal est donné en temps réel. Pour le revenu universel, ce serait la même chose. Chaque mois, on aurait + 500, comme si on percevait une rente sur son compte bancaire. À celui qui ne perçoit aucun revenu, le Trésor public enverrait un chèque de 500 euros à la fin du mois – c’est déjà ce qui se passe en cas de remboursement d’impôt. Pour celui qui perçoit des revenus, le montant du revenu universel varierait en fonction du taux de dégressivité du barème fiscal. Une fois atteint un certain niveau de revenus, par exemple 1000 euros, le revenu universel de 500 euros deviendrait zéro. Ensuite, on paierait des impôts. Il s’agit donc d’un barème continu d’impôt avec un crédit d’impôt qui est versé par chèque quand le solde net est négatif. Quand on a des revenus, le crédit d’impôt diminue et disparaît. Reste alors à payer aux impôts la contribution fiscale. C’est donc d’une parfaite simplicité. Certes, ce n’est pas aussi simple que je le décris (...) : même si, chaque mois, on ne connaît pas le montant exact des recettes et des dépenses, on prélève en fonction du taux de l’année précédente et on régularise en fin d’année. Des solutions existent déjà pour que le compte fiscal soit adapté à la réalité à peu près chaque mois. (...). Et c’est la fin des allocations de toute nature, par exemple des allocations familiales. C’est la fin des disputes entre les départements, les régions et l’État pour savoir qui paye le RSA, etc. Il y a uniquement un barème fiscal négatif au début, qui devient zéro, puis qui devient positif. (...) »
Hyafil note cependant qu'en cas de prélèvement à la source de l'impôt sur les revenus des personnes physique, si le revenu de base prend la forme d’un crédit d’impôt, il est beaucoup plus difficile pour l’employeur de calculer l’impôt sur le salaire qu’il verse à son employé, surtout si ce dernier a plusieurs employeurs. Au contraire, lorsque le revenu de base est versé en intégralité, l’employeur peut appliquer par défaut le taux d’imposition de la première tranche d’imposition sans avoir à se préoccuper des autres sources de revenu de son employé [source p. 119].
Prélèvement à la source de l'IRPP
Le prélèvement "à la source" (PAS) de l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) signifie qu'il est directement prélevé sur le revenu et versé à l'administration fiscale par l’organisme collecteur (l'entreprise pour les salaires, les caisses de retraite et pour les revenus de remplacement, et les institutions financières pour les intérêts, dividendes ou plus-values).
Le prélèvement à la source a trois effets majeurs :
En France, rare pays européen où l'impôt sur le revenu n'est pas encore prélevé à la source, François Ecalle note que si 38 % des contribuables voient leur revenu baisser d’une année à l’autre (France, 2015) et ont financièrement intérêt à une retenue à la source, 62 % voient leur revenu augmenter et n’y ont pas intérêt [source].
Le prélèvement à la source du montant juste d’IRPP requiert de la part de l'organisme collecteur (employeur, caisse de retraite/chômage, banque) la connaissance du bon taux moyen d’imposition à appliquer sur les revenus. Or, compte-tenu des règles de calcul de l’IRPP (barème progressif, principe du quotient familial – quotient conjugal et quotient enfant – existence d’abattements, de réductions et de crédit d’impôt), le taux moyen d’imposition est complexe à calculer. Il dépend en outre des autres revenus de l’individu, mais aussi de sa situation conjugale et des revenus des autres personnes dans le foyer fiscal. Pour régler ces questions, l’administration fiscale doit transmettre aux organismes collecteurs le taux d’imposition total effectivement pratiqué l’année précédente. Et, dans tous les cas, une déclaration correctrice est faite en début d’année suivante : chacun reçoit une déclaration pré-remplie mentionnant tous les revenus et prélèvements à la source déjà effectués, et corrige le cas échéant. Dans l’immense majorité des cas, aucune correction n’est nécessaire.
Le prélèvement à la source des revenus des indépendants et des propriétaires fonciers est beaucoup plus difficile (voire, selon Ecalle, impossible).
La rationalisation des systèmes informatiques de l'administration fiscale (intégration des différentes bases de données, traitement en temps réel, automatisation des paiements d’acompte, ...) peut cependant aider à résoudre certains de ces problèmes [source]. Mais ce même progrès technologique pourrait tout aussi bien rendre obsolète le concept même de PAS en lui substituant celui de prélèvement mensualisé et contemporain (PMC), opéré par l’administration fiscale sous la forme d’acomptes payés au titre des revenus de l’année en cours au lieu de ceux de l’année précédente, et prenant en compte les réductions et crédits d’impôt [source].
Économiste et sociologue, professeur émérite à l'université Paris Ouest Nanterre La Défense (Paris X), membre du parti communiste, et de tendance libertaire, Bernard Friot propose – pour « sortir du capitalisme » – la généralisation d'un système de salaires à vie (la dénomination rigoureuse étant plutôt "salaire à la qualification personnelle"), dont les principes essentiels sont les suivants :
le salaire la vie est versé de façon inconditionnelle (du moins au niveau minimum, cf. point suivant) à chaque citoyen dès sa maturité, quel que soit le statut : fonctionnaire, salarié de droit privé ou indépendant ;
montant variant de 1.500 à 6.000 euros/mois (2018) selon la qualification, déterminée par des épreuves de qualification.
financement intégral par la une cotisation salaire, versée par les entreprises à la caisse nationale des salaires, au prorata de la valeur ajoutée créée par l'entreprise ;
La cotisation salaire (60% du PIB) est complétée par une cotisation investissements (30% du PIB) et une cotisation service public (10% du PIB).
la « propriété lucrative » des entreprises est remplacée par leur « copropriété d’usage» (mais Friot ne dit pas comment ...) ;
Communisme libertaire. Friot ne souhaite pas remplacer la propriété privée par la propriété publique, mais la propriété lucrative par la propriété d'usage. Chaque citoyen devrait être propriétaire (ou co-propriétaire) de son outil de production et de son logement. L'important est qu'on ne puisse tirer aucun revenu de la propriété (...de moyen de productions, terrains, immeubles, monnaie, brevets, ...) mais de son seul travail.
suppression des impôts et taxes (la suppression de la propriété lucrative signifiant la disparition des profits).
Cela revient en fait à remplacer les impôts et taxe par la généralisation des cotisations à 100% du PIB. Les investissements quant à eux sont donc financés sans remboursement ni taux d'intérêt.
Voici comment Friot justifie le principe du salaire à vie. Lorsqu'un garçon de café sert un café à un client, ce travail est considéré comme ayant une valeur du point de vue de la comptabilité nationale (valeur économique). Mais lorsque rentré chez lui il sert un café à une amie venue lui rendre visite ce travail pourtant identique au précédent n'est pas considéré comme de la valeur économique. Friot en déduit que ce qui définit le travail économique (c-à-d le travail produisant de la valeur économique) n'est donc pas la nature de ce qu'on fait. La définition de ce qui est du travail économique, poursuit Friot, est une convention sociale, fruit des rapports de force entre salariés et propriétaires des moyens de productions. On retrouve ici l'analyse marxiste selon laquelle le contrôle des principaux moyens de production permet à la classe dirigeante de s'approprier (via les dividendes) une partie de la valeur produite par autrui [source].
Analyse incomplète ? Dans l'exemple du café, Friot omet cependant de mentionner une différence fondamentale : le client est nécessairement demandeur d'une tasse de café (pour laquelle il est d'ailleurs disposé à payer) tandis que l'amie en visite ne l'est pas nécessairement (elle rend visite pour d'autres raisons que boire une tasse de café). Bien que pertinente l'analyse de Friot est donc incomplète en ce qu'elle ne considère que la face "offre" de la problématique (la production de biens et services) en omettant la face "demande" (la consommation). Nous dirons qu'est considéré comme travail économique celui qui est fourni contre paiement. Ce paiement mesure la valeur attribuée par les deux parties à ce travail (vendeur et acheteur). Le noeud de la problématique est donc le mécanisme par lequel (i) le prix est déterminé, et (ii) la monnaie est créée et allouée entre les agents économiques (individus, entreprises, État).
En fait Friot n'évoque pas explicitement la demande de biens et services, mais il le fait bien implicitement lorsqu'il propose la solution du salaire à vie pour démocratiser la définition de ce qui est du travail économique c-à-d de la valeur.
Friot souligne que des formes de salaire à vie existent déjà, notamment dans le secteur de la santé où médecins et kinés peuvent vivre normalement quasiment dès leur installation, du fait d’une patientèle solvabilisée par la sécurité sociale.
Oui mais ... on est ici dans le cas du garçon de café et non dans celui de l'amie en visite évoqués plus haut : le travail fourni par ces travailleurs médicaux répond systématiquement à une demande préalable.
Ces "conquêtes du salariat" ont été réalisées par les partis et syndicats communistes juste avant et après la seconde guerre mondiale. Malheureusement le mouvement syndical s'est délité depuis les années 1980, régressant d'une stratégie offensive/révolutionnaire (l'élargissement du financement des services publics par les cotisations) à défensive/réformatrice (la préservation de l'emploi). Friot demeure cependant optimiste, considérant qu'en raison de sa meilleure efficacité économique globale, le mode de production socialiste finira par remplacer le capitalisme, de même que la bourgeoisie a vaincu la féodalité au 18° siècle (au terme d'un processus initié trois siècle plus tôt).
L'avènement économique de la Chine, illustre-t-il cette prédiction ? Oui, pour autant que le système économique chinois puisse encore être qualifié de socialiste, ce qui peut être question d'interprétations.
Selon Friot, la voie à suivre est claire. Ainsi le fonctionnement du secteur des soins de santé montre que des structures similaires sont déjà opérationnelles. Il s'agit de les étendre à d'autres secteurs, et d'augmenter le taux de cotisation tout en diminuant le taux d'imposition. Le graphique suivant schématise le cycle d'une économie de salaire à vie, telle qu'il fonctionnerait une fois réalisé le changement de paradigme [source].
Friot utilise souvent l'expression "sortir du capitalisme". Le problème c'est que le concept de "capitalisme" sème la confusion chez le lecteur ignorant que le capitalisme est fondé sur deux sous-concepts qu'il importe de distinguer : l'accumulation du capital (notion quantitative) et la propriété du capital (notion qualitative). Or le noeud de la problématique des systèmes de financement inconditionnel des citoyens (SFIC) c'est le contrôle démocratique - et donc la propriété - du capital, pour décider au mieux le "combien et pour qui/quoi ?", afin de réaliser l'équilibre optimum entre liberté (l'individu) et égalité (le collectif). Par conséquent, selon nous, le débat devrait plutôt porter sur la distinction entre "public" et "privé". Mais voilà : Friot se voulant communiste et libertaire, il souhaite limiter le rôle de l'État. Nous allons voir que ce credo libertaire constitue une contrainte complexifiant la réalisation du salaire à vie tel que conçu par Friot.
Public vs privé. Une étude de Ernst & Young révèle que sur l'ensemble de la planète les populations sont généralement satisfaites des entreprises publiques, et qu'elles les apprécient mieux que les entreprises privées [source].
Le concept de salaire à vie enrichit considérablement la réflexion sur les systèmes de financement inconditionnel des citoyens (SFIC). Cependant force est de constater d'importantes "zones d'ombre" dans la théorie de Friot, induites par son positionnement libertaire qui implique le non recours à la nationalisation des entreprises et à la planification étatique. Dès lors, ne pouvant évoquer (qui plus est très vaguement) que les seules coopératives comme alternative à la propriété lucrative et à la propriété publique, les modalités d'instauration et de fonctionnement du salaire à vie demeurent flouent :
Principes du salaire à vie (10m24s - 2013)
On peut résumer comme suit le principe de financement du salaire à vie : remplacer les impôts et taxes par une double cotisation à 100% du PIB. Le tableau ci-dessous permet de visualiser le changement révolutionnaire ainsi opéré au niveau de la composition du PIB :
Répartition actuelle du PIB selon la valeur ajoutée ((France, 2010 - source : B. Friot))
Indépendants 5% | ||
Propriété lucrative (⊃ Marché du capital) | Profits nets : 35% | Dividendes : 15% |
---|---|---|
Investissements : 20% | ||
Secteur public | Prélèvements obligatoires : 40%
|
Sécurité sociale : 25% (pensions : 10%, santé : 10%, allocat. chômage et famille : 5%) |
Fonction publique : 15% | ||
Marché du travail | Salaires nets : 20% | • Contractuels du secteur public |
• Salariés du secteur privé |
Indépendant. À noter qu'une partie croissante des petits indépendants sont en réalité des quasi-salariés précaires, sous-traitant pour un petit nombre de grandes sociétés voire pour une seule.
Du point de vue de la classe dirigeante, la lutte des classes consiste à étendre les deux zones bleues (la propriété lucrative en haut, le marché du travail en bas) en compressant la zone rouge (le secteur public). Du point de vue du reste de la population c'est l'inverse : étendre la zone rouge en comprimant les deux zones bleues. C'est en cela que Friot affirme que la lutte des classes est un conflit irréductible, concernant la définition de ce qui est ou pas de la valeur. Les vidéos suivantes explicitent ces notions.
Répartition du PIB - 1 (10m34s - 2013)
Répartition du PIB - 2 (8m34s - 2013)
Les 55% de salaires nets dont parle Friot correspondent dans le tableau ci-dessus aux trois dernières lignes de la colonne de droite : 15% (fonction publique) + 20% (salariés du secteur privé + contractuels du secteur public) --> 35/60 ≈ 0.55
Friot prône donc l'évolution illustrée par le graphique suivant, dans laquelle on soulignera en particulier :
Bernard Friot attire notre attention sur la différence qu'il y a de financer les activités publiques par les cotisations plutôt que par l'impôt. Les cotisations sont prélevées au moment de la production, tandis que les impôts sont prélevés en aval de la production, après la répartition de la richesse produite entre travail (salaires) et capital (profit). Or les plus riches échappent facilement à l'impôt, grâce au conseils de spécialistes en échappement fiscal.
Selon Friot le financement par les impôts comporte deux inconvénients majeurs :
À contre courant. Alors que le modèle du salaire à vie propose de supprimer les impôts et taxes, pour tout financer par la cotisation sociale, c'est exactement l'évolution inverse que l'on observe depuis le début des années 1990. Et le gouvernement français propose même d’étendre au chômage le financement par l’impôt, s'attaquant ainsi au principe assurantiel de l’assurance chômage. Selon les économistes de Xerfi il s'agit là (dans le chef du gouvernement) probablement « d'une façon d’amorcer une reprise en main plus drastique du système, passant par la remise en cause de la gestion paritaire, et ouvrant la possibilité de déconnecter l’indemnisation du revenu » [source].
Selon Friot la généralisation du salaire à vie n'implique pas de remplacer la propriété privée par la propriété publique mais la "propriété lucrative" par la "propriété d'usage" (laquelle atteste de l'autorité partagée à décider de ce que l'entreprise va produire, comment, à quels prix, ...). Chaque citoyen devrait être propriétaire (ou co-propriétaire) de son outil de production et de son logement. L'important est qu'on ne puisse s'enrichir par la propriété (de moyens de production, terrains, immeubles, monnaie, brevets, ...) mais par son seul travail.
Droit de propriété
Le droit distingue trois principes constituants de la propriété d'un bien :
Exemples :
Les droits de propriétés peuvent être détenus par des personnes physiques (individus) ou morales (organisations privées ou publiques).
Enfin les économistes libéraux considèrent le droit de propriété de moyens de productions (biens mobiliers et immobiliers) comme favorisant le développement économique car la propriété de biens serait un incitant à les gérer efficacement. Ils identifient à cet égard une série de droits liés à la propriété d'un bien : droit de le posséder, d'en exclure l'usage à autrui, de le vendre, d'en faire (ou pas) un usage productif, de le gager, de leur louer, de le protéger, d'en obtenir dédommagement en cas de dommage.
Concernant la distribution égalitaire et gratuite de la création monétaire comme source de financement d'un SRIC, Friot ne s'estime pas compétent pour prendre position, mais dénonce un excès de confiance à penser que la monnaie a une position centrale dans le capitalisme, alors que le coeur du capitalisme est la propriété des moyens de production. Malheureusement Friot ne voit donc pas que la monnaie est un moyen de production (cf. /travail-valeur#facteur-vs-moyen-de-production), et que justement sa privatisation effective est un fondement du capitalisme privé.
La proposition de Friot enrichit considérablement le débat, mais pèche par son incomplétude. C'est notamment le cas des modalités juridiques du double principe de suppression de la "propriété lucrative" et de généralisation de la "propriété d'usage". À l'opposé, l'allocation universelle du modèle synthétique est fondée sur la présence d'entreprises (100%) publiques dans tous les secteurs essentiels [approfondir], et leur autogestion sous statut (à créer) de coopératives publiques. Friot ne peut malheureusement en faire autant, étant coincé dans la contrainte de son approche libertaire qui vise par principe à limiter le rôle de l'État. Notons à cet égard qu'une étude de Ernst & Young révèle que sur l'ensemble de la planète les populations sont généralement satisfaites des entreprises publiques, et qu'elles les apprécient mieux que les entreprises privées [source].
Avec sa limitation absolue des salaires le concept du "salaire à vie" de Friot est sans doute le plus utopique, mais enrichit grandement la réflexion. L'utilité de limiter les écarts de revenu est d'ailleurs confirmée par des études de l'OCDE [source] et du FMI [source].
Voir aussi : fr.wikiversity.org/wiki/Recherche:Salaire_à_vie
Les clivages entre les modèles communiste et libéral de l'AU s'expriment par une opposition parfois farouche entre courants politiques. Ils portent principalement sur le rôle de l'État, et la redistribution des richesses.
Friot considère le "revenu de base" du courant libéral comme une « roue de secours du capitalisme » car il distribue du pouvoir d’achat, mais ne permet pas aux travailleurs de décider de la production. À cela les écolos/libéraux du MFRB répondent que « le salaire à vie n'a rien à voir avec le revenu de base » [source]. S'ajoute à ce débat idéologique et conflictuel le point de vue des syndicats, dont les cadres sont généralement opposés à toute forme de rémunération inconditionnelle des citoyens (PS : dans notre article consacré au salaire minimum nous expliquons quelles en sont selon nous les véritables raisons).
Selon Jean-Marie Harribay « dans la sphère monétaire non marchande, la validation des activités économiques tient dans une décision politique a priori, dont il résultera travail, production de valeur et distribution de revenu. Par exemple, la décision de l’État d’apprendre à lire et à écrire aux enfants, ou bien celle d’une municipalité d’accueillir les enfants dans une crèche, sont suivies de l’embauche d’enseignants et de puéricultrices, dont le travail est validé par cette décision, et qui produisent des services et donc de la valeur, laquelle permet de verser des salaires. Une fois le produit national augmenté de ce produit non marchand, l’impôt vient en assurer ex post le paiement collectif. Rien à voir avec un hélicoptère monétaire à la façon de Friedman ou du Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) » [source, p. 137].
Le modèle synthétique éclaire la zone d'ombre non traitée par le modèle communiste, à savoir le type juridique de la propriété des moyens de productions (privée vs publique). Or il s'agit là du noyau de la problématique des systèmes de financement inconditionnel des citoyens (SFIC). Se voulant communiste et libertaire, Bernard Friot souhaite limiter le rôle de l'État. En conséquence il ne propose pas de remplacer la propriété privée par la propriété publique mais la propriété lucrative par la propriété d'usage. Or selon nous la problématique du type juridique de la propriété (privée vs publique) n'est pas une alternative à, mais complète (voire englobe) celle du type fonctionnel de la propriété (lucrative vs d'usage). À l'opposé, le modèle synthétique d'allocation universelle répond clairement à la problématique juridique de la propriété en affirmant que l'État devrait disposer de plusieurs entreprises publiques en concurrence dans chaque secteur stratégique, et nationaliser – par référendum automatique – les entreprises privées qui abusent d'une position dominante [approfondir]. En outre les entreprises publiques devraient être gérées sous statut de coopératives publiques.
Alors que les modèles communiste et libéral prônent moins d'État, le modèle synthétique n'a pas d'à priori quant à la taille optimale de l'État. Selon ce modèle le facteur déterminant en matière d'efficacité économique est que l'État soit le plus démocratique possible c-à-d l'instrument de l'intelligence collective. Il s'agit d'une conception de l'État comme variable d'ajustement/adaptation aux cycles économiques.
Dans toutes les applications du modèle libéral les montants proposés sont considérés comme un point de départ minimaliste, et il n'est pas spécifié vers quel niveau il conviendrait d'évoluer. C'est là une différence majeure avec les deux autres modèles (communiste et synthétique) dont la démarche consiste inversement à définir clairement un objectif final. Dans ceux-ci il s'agit de maximiser l'effet redistributif (en terme absolu pour le modèle communiste, relatif pour le modèle synthétique), tandis que l'approche libérale vise à ne pas le modifier (NB : ce qui ne stimule pas particulièrement la créativité des chercheurs libéraux en matière de modes de financement possibles de l'AU ...).
Dans le modèle "libéral" le transfert de richesse des plus fortunés vers les plus pauvres est nettement moindre que dans les modèles communiste et synthétique. Contrairement à ceux-ci, le modèle libéral ne change pas fondamentalement le paradigme économique, de sorte qu'il peut être utilisé comme arbre cachant la forêt du démantèlement de la sécurité sociale.
Dans le modèle "communiste" on ne peut plus s'enrichir par des revenus du capital (dividendes, intérêts, loyers, droits d'auteur) mais par son seul travail, rémunéré par un salaire à vie garanti à 1.500 euros/mois (2018) et pouvant croître jusqu'à 6.000 euros/mois sous condition de réussite d'examens de qualification. Le financement de l'activité économique se fait désormais intégralement via les cotisations, tandis que les impôts et taxes sont abolis (PS : Friot n'aime pas les impôts car les plus riches y échappent facilement). Une limite absolue est donc imposée aux écarts de revenu (terme abhorré par Friot, qui lui oppose celui de salaire). Par contre il n'est pas envisagé de correction aux écarts de patrimoine via d'éventuelles nationalisations. Est seulement évoquée (de façon assez vague) la substitution de la "propriété d'usage" à la "propriété lucrative", au terme d'un long processus historique consistant à développer le "déjà acquis" en matière de cotisations sociales. Il y a là une zone d'ombre, qui constitue le point faible (ou plus exactement "manquant") de la proposition du salaire à vie.
Dans le modèle "synthétique" il est imposé une limite – mais seulement relative – aux écarts de revenus et de patrimoine, via le principe d'écart de richesse optimal, c-à-d compatible avec le financement d'une AU permettant de vivre (chichement) sans travail rémunéré.
Débat organisé par la chaîne RT France le 1° mai 2019, auquel ont été invité Gaspard Koenig (approche "libérale") et Bernard Friot (approche "communiste libertaire").
Gaspard Koenig vs Bernard Friot (2019 - 51m52s)
Cette vidéo a été supprimée par YouTube afin de vous "protéger de la propagande russe" ... (sic).
Ce que j'en retiens :
Auteur : F. Jortay | Contact : | Suivre : infolettre