Nous entendons par "monnaie électronique" l'usage d'un fichier informatique comme monnaie. Ce fichier peut être transféré entre terminaux (ordinateur, smartphone, ...).
La monnaie électronique peut ainsi être créée, distribuée et échangée sur Internet.
Alors qu'une pièce de monnaie ou un billet ne peuvent afficher qu'un nombre très limité de données (montant, effigie, date d'émission, ...) le fichier que constitue une somme monétaire digitale peut en contenir un nombre quasiment illimité et de types plus nombreux (texte, images, sons, certificats électroniques, ...).
Comme tout réseau informatique, un système monétaire électronique peut être centralisé (monnaie nationale) ou décentralisé (monnaies locales). Il est ainsi aujourd'hui possible à de petites communautés de créer et gérer leur propre système monétaire indépendamment de l'État (approfondir : democratiedirecte.net/reseau-decentralise).
Mais qu'il s'agisse de monnaie locale ou nationale, les potentialités de la monnaie électronique sont considérables, comme l'illustre sa plus grande traçabilité en comparaison avec la monnaie en espèce (billets et pièces) : date et lieu du paiement, objet de la transaction, identité des parties, etc. (PS : ces données peuvent être cryptées afin de les rendre illisibles pour la plupart voire la totalité des personnes non autorisées).
Toute innovation technologique présente des avantages et des inconvénients. Ainsi la traçabilité permet de lutter contre les activités illégales (dont la fraude fiscale), mais réduit la confidentialité des échanges. Idéalement, une innovation ne devrait être appliquée que si les utilisateurs estiment que ses avantages l'emportent sur ses inconvénients.
Les monnaies électroniques non officielles telles que le Bitcoin sont probablement moins traçables que les monnaies électroniques officielles, mais leurs utilisateurs ne sont certainement pas moins traçables (bien au contraire) que les utilisateurs de billets.
Notre typologie est composée de sept critères : cours ; échelle ; réseau ; création, allocation & utilisation ; valeur d'usage ; concurrence ; installation.
Cours : une monnaie peut "avoir cours" :
Échelle : un système monétaire peut-être composé à la fois :
Par "localement" nous entendons ici « dans une partie seulement du territoire national » et/ou « au sein d'une partie seulement de la population nationale ». L'échelle est évaluée au niveau pratique et non théorique : ainsi une monnaie libre qui serait théoriquement utilisable par l'ensemble de la population, mais qui en raison d'une faible convivialité (facilité d'utilisation) ne l'est que par une partie, est considérée comme locale.
Ne bénéficiant pas de la garantie de l'État, les monnaies à cours libre ne sont généralement que des monnaies locales. Soulignons ici qu'une monnaie locale peut avoir cours libre au niveau international.
Réseau : une monnaie peut-être créée, distribuée & utilisée de façon :
Contrôle des droits d'accès. Le type de réseau est déterminant notamment au niveau du contrôle d'accès des utilisateurs, par leur authentification (par exemple au moyen d'un mot de passe) et identification. L'identification peut être non certifiée (cas de forums à identification par simple pseudo) ou certifiée, par exemple par carte électronique dans un réseau centralisé ou par toile de confiance dans un réseau décentralisé.
Création, allocation & utilisation :
Valeur d'usage : une monnaie peut-être utilisée :
Concurrence : par rapport au système monétaire existant, un nouveau système monétaire peut :
Installation : un nouveau système monétaire pourrait être installé notamment sous la forme :
Voici une comparaison de l'euro, du Bitcoin et de la Ğ1 sur base de ces sept caractéristiques typologiques :
Euro | Bitcoin | June | |
---|---|---|---|
Cours | légal | libre | libre |
Échelle | nationale | locale | locale |
Réseau | centralisé | décentralisé | décentralisé |
Création, allocation & utilisation | asymétrique | asymétrique | symétrique ? |
Valeur d'usage | échanges | spéculation | échanges |
Concurrence | substitution totale | ajout | ajout |
Installation | planifiée | spontanée | spontanée |
Sont généralement appelées "cryptomonnaies" les monnaies électroniques à cours libre, dont la création, le stockage et les transferts sont opérés de façon décentralisée (c-à-d en réseau "pair à pair" plutôt que "client-serveur").
La plupart des "cryptomonnaies" sont en réalité des instruments de spéculation (Bitcoin) et non de paiement. Un exemple de monnaie électronique "décentralisée" est la monnaie libre June dont la chaînes de blocs (infrastructure décentralisée) est Duniter.
Or le théorème CAP énonce que tout système de calcul distribué (cas des chaîne de bloc) est soumis à des limitations incontournables induisant des arbitrages dans la performance de diverses fonctionnalités du système.
Défi. Il est techniquement plus complexe de faire fonctionner un système transactionnel de façon décentralisée que de façon centralisée, notamment parce qu'il faut neutraliser le risque de doublons ("synchronisation" des noeuds composant la base de données) – accidentels ou malveillants – dans les transactions comme dans les utilisateurs. Ainsi en 2016 la validation d'une transaction en Bitcoin (système décentralisé) dure en moyenne une cinquantaine de minutes, contre seulement quelques secondes (soit environ 500 fois plus vite) pour les paiements par carte bancaire (système centralisé).
Coûts. Avec l'augmentation du nombre d'utilisateurs et des transactions, la fonction de minage requiert des capacités de calcul de plus en plus élevées, donc des processeurs de plus en pus puissants, consommant de plus en plus d'électricité, et dissipant de plus en plus de chaleur (ce qui nécessite des systèmes de refroidissement). Il en résulte un coût croissant, que ne peuvent assumer qu'un nombre de plus en plus restreint d'individus.
Nous avons montré dans l'article "Principes monétaires" que l'État joue un rôle essentiel dans la confiance des agents économiques en la monnaie nationale : cours légal, paiement des fonctionnaires et dépenses publiques en monnaie nationale, lutte contre la contrefaçon monétaire au moyen du système policier/judiciaire, etc. C'est précisément cette confiance qui induit la valeur d'usage de la monnaie en tant qu'instrument d'échange. Or dans l'état actuel des technologies et de l'analphabétisme numérique, les monnaies libres ne semblent pas en mesure de susciter aussi efficacement que l'État la confiance nécessaire pour acquérir une valeur d'usage en tant qu'instruments d'échange (cf. /principes-monetaires#valeur-usage-monnaie).
C'est pour ces raisons que les centaines de crypto-monnaies existantes à ce jour ne sont pas de véritables monnaies mais essentiellement des instruments de spéculation ou de blanchiment. Or les fonctions d'échange et de spéculation ne sont pas compatibles, car la première requiert la stabilité du cours tandis que la seconde requiert au contraire une forte volatilité.
Le principe de symétrie dans la création et allocation monétaire, fondement de la monnaie libre, permet certes de limiter assez efficacement les potentialités de spéculation. Mais la monnaie libre réussira-t-elle pour autant à sortir la June de son statut actuel de monnaie locale, et ainsi éviter le sort des monnaies locales privées (entendez "n'ayant pas cours légal"), c-à-d soit de disparaître après quelques années, soit de devenir "l'espéranto monétaire", durable mais limité à un petit groupe de militants ? (cf. /monnaies-locales). La section suivante apporte quelques éléments de réponse ...
Fonctionnant en réseaux décentralisés les monnaies libres ne disposent dans l'état actuel des technologies que de la technique dite "toile de confiance" pour prévenir les identités multiples. Or la toile de confiance introduit deux formes d'asymétries :
les différentiels de taille des réseaux relationnels entre individus asymétrisent leurs capacités respectives à réunir le nombre requis de certifications (par signature électronique) dans la toile de confiance (et qui plus est si ce nombre augmente avec la taille de la toile) ;
les différentiels culturels entre individus asymétrisent leurs capacités respectives à appréhender le fonctionnement d’une crypto-monnaie (comprendre le fonctionnement et les procédures du système Duniter, installation et maintenance des logiciels, etc).
La multiplication des monnaies libres locales ne neutralise pas l'asymétrie. Pour le démontrer, supposons un pays composé de dix localités et d'autant de monnaies libres (Ğ1, Ğ2, ... Ğ10) chacune étant spécifique à sa localité. Monsieur Xyz a tellement d'amis qu'il a pu être certifié par la toile de confiance de chacune des monnaies locales, ce qui lui permet de voyager dans toutes les localités. Madame Abc a beaucoup moins d'amis, de sorte qu'elle n'a pu être certifiée que dans deux monnaies locales, ce qui lui pose problème pour voyager dans les autres localités. La situation monétaire de Xyz et Abc n'est donc pas spatialement symétrique.
Il pourrait donc se développer un marché noir de certifications, dans lequel des membres de Duniter certifieront des inconnus contre rémunération, ce qui annihilerait le principe même de la certification et ouvrirait la porte à des multiplications massives de fausses identités ...
Clé privée. Les crypto-monnaies décentralisées n'offrent aucune solution en cas de perte de la clé privée par son titulaire : dans ce cas le contenu du compte est irréversiblement perdu car il est impossible pour quiconque de récupérer la clé privée (contrairement au système bancaire centralisé où l'identification se fait par cryptographie symétrique).
Il en résulte que ces monnaies décentralisées ne pourront devenir des monnaies "grand public" que si se développe une offre de services bancaires assumant la gestion des clés "privées", ... mais qui par la même occasion ne seraient plus privées.
Vie privée. Il semble que dans le système Duniter, ouvert par défaut, quiconque peut voir la liste de vos achats/ventes, les prix correspondants, et l'identité des parties à l'échange ... [source]
Services connexes. S'il s'avère qu'en pratique l'utilisation des monnaies libres requiert le recours à des services connexes payants (gestion des clés, anonymisation, ...), alors le principe de symétrie n'est plus respecté, puisque les plus riches sont ainsi avantagés. Si en outre ces services sont fournis par des systèmes centralisés (ce qui est aussi le cas du site web et forum de Duniter ...) se pose alors la question de leur contrôle démocratique : s'agit-il de coopératives véritablement contrôlées par l'ensemble des utilisateurs ?
Sans ces services connexes centralisés la June pourrait-elle se développer ? Lorsque l'on considère l'écosystème Duniter dans son ensemble (logiciel Duniter, forum Duniter, services de gestion de clé et d'anonymisation, etc), on observe qu'il n'est pas 100% décentralisé. Ainsi se pose la question : la monnaie libre pourrait-elle devenir une monnaie effective si le système Duniter global était 100% décentralisé ?
Blanchiment. Si ces monnaies libres réduisent le coût d'anonymisation, alors elles peuvent faciliter le blanchiment d'activités illégales (fraude fiscale, recel de biens volés, traite d'esclaves, ...).
Énergivore. La décentralisation complexifie la gestion des transactions et des utilisateurs, la problématique majeure étant la prévention/éradication des doublons. La solution technologique actuelle – le minage – consomme beaucoup plus d'énergie et de temps qu'un système centralisé de monnaie électronique. À tel point que dans l'État actuel des technologie, les monnaies électroniques décentralisées ne sont pas économiquement viables pour les micro-paiements.
Les développeurs de Duniter affirment que le calcul des blocs dans Duniter ne coûte « presque rien » (mais sans le démontrer ...). Ils utilisent le terme "forger" plutôt que "miner" (calcul des blocs), soulignant que le calcul des blocs est standardisé (ceux qui ont un ordinateur plus rapide que les autres sont ralentis) et rémunéré par dons à partir de la monnaie déjà créée [source1, source2].
Démocratie. L'écosystème Duniter n'est pas un système démocratique mais libre. Ses développeurs sont libres d'implémenter ou non les fonctions souhaitées par une majorité des utilisateurs.
La lecture des forums de Duniter confirme que la June est une affaire de geeks : ce n'est pas un produit/service grand public. L'installation d'un logiciel sur son ordinateur, la nécessité d'être certifié par un certains nombre d'utilisateurs, la gestion d'une clé publique, la stabilité du système client suite à la perte/destruction/remplacement du terminal, etc, tout cela fait que le nombre des utilisateurs de la June va stagner dès que le potentiel de population geek aura été atteint.
Il en résulte que la masse critique au-delà de laquelle la June peut devenir utilisable en tant que monnaie risque de n'être jamais atteint, du moins dans la société actuelle où l'analphabétisme informatique est généralisé. En attendant une société disposant d'une culture informatique, une voie complémentaire consiste à forker Duniter. C'est ce que nous suggérons aux développeurs, en les invitant à s'intéresser au modèle centralisé direct.
Le modèle centralisé indirect, c'est le système monétaire actuel, dans sa forme électronique (paiement par carte bancaire, smartphone, ...). Il est dit indirect car la création est réalisée de façon arbitraire par le système bancaire (banques commerciales + Banque centrale).
Les chapitres /principes-monetaires et /creation-monetaire décrivent ce modèle centralisé direct. Le passage de la monnaie "papier" à la monnaie électronique de change rien de fondamental, si ce n'est que les coûts de transactions sont considérablement réduits par la virtualisation de la monnaie.
Le modèle centralisé direct est celui auquel correspond le financement distributif de notre AU (soit 16 % de l'AU).
Ce que l'on pourrait ainsi appeler "monnaie directe" est une version (théorique) dérivée du concept de monnaie libre.
Monnaies directes et libres ont en commun le principe de symétrie :
La seule différence entre les deux – mais fondamentale en terme de facilité de compréhension et d'utilisation – c'est que la monnaie directe serait gérée non pas en réseau "décentralisé" – dont l'utilisation requiert une culture informatique actuellement inexistante chez la plupart de la population – mais par la Banque centrale. En outre, l'on postule que celle dernière est gérée sous statut de coopérative publique, dans un régime de démocratie directe.
Monnaies directe et libre ne diffèrent donc que dans le paradigme de décentralisation du système informatique monétaire :
monnaie directe : système mixte (c-à-d partiellement distribué) mais évolutif (maximisation progressive de la décentralisation, au fur et à mesure que le progrès technologique et culturel supprime les difficultés pratiques liées aux systèmes distribués).
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Auteur : F. Jortay | Contact : | Suivre : infolettre